Les livres étaient interdits
on les distribuait la nuit
dans des camions banalisés
et les policiers déguisés
en monde ordinaire
pensaient qu’on ne les reconnaissait pas
et venaient nous donner des frissons
en défonçant les portes de nos maisons

les films étaient interdits
on en faisait des copies en seize millimètres
avec des titres sans queue ni tête
qui ne figuraient dans aucun catalogue

on avait des amis dans la clandestinité
on se parlait en code
on s’écrivait en chiffres
pendant qu’une escouade spécialisée
fouillait la cuisine de nos nouvelles amours
la veille du jour de l’an

ils voyaient des Falcons dans leurs cauchemars
et nul bruit ne leur causait autant d’effroi
que celui des portières qui claquent
croyant que c’était eux que l’on venait chercher
irremplaçables desaparecidos
hommes femmes et enfants perdus
dans les bas quartiers de l’oubli
favelas favelas

(Gérald Godin, Soirs sans atout, 1986)